SON HISTOIRE


Mathurin Dubé, un héros de Rivière-Ouelle

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Par Marie-Paule Dubé
Généalogiste

Né en 1631, Mathurin Dubé, ce jeune fermier originaire de la Chapelle-Thémer en Vendée, venu s'établir ici pour fonder une famille, est l'ancêtre de la plus grande partie, sinon de tous ceux qui portent le patronyme " Dubé"

La Chapelle-Thémer

Cette paroisse existe encore de nos jours. Plusieurs Dubé s'y sont rendus et peuvent en parler. La Chapelle-Thémer, située près de Fontenay-le-Comte, chef-lieu d'arrondissement de la Vendée, est une ancienne place forte. Cette région est une plaine calcaire qui porte des cultures céréalières et fourragères ainsi qu'un modeste vignoble. Elle fait partie aujourd'hui du Pays de la Loire.

Elle comptait environ 800 habitants à l'époque vers laquelle Mathurin Dubé quitta la région, ce qui se situe autour de 1665. Nous ne connaissons pas la date exacte de son départ. Cependant, nous savons qu'au recensement général des colons en Nouvelle-France fait en 1666, les recenseurs rapportent que notre ancêtre demeure sur la ferme de Monseigneur de Laval, située sur la côte de Beaupré, dans le fief de Lotinville.

Son arrivée en Nouvelle-France

Mathurin Dubé, fils de Jean Dubé et de Renée Suzanne, est donc venu s'établir ici, en Nouvelle-France, vers 1665 sur le fief de Lotinville situé dans la seigneurie de Beaupré. L'étendue de ce fief était de 28 arpents de front sur une lieue et demie de profondeur et était borné à l'est par la rivière Petit-Pré. Il est dons facile de le localiser aujourd'hui.2. Mathurin ne fut que quelque temps, soit environ deux ans, employé de Monseigneur de Laval. Il se fit concéder, par ce dernier, une terre à l'île d'Orléans.

La terre ancestrale de l'île d'Orléans

Nos recherches nous ont permis de retrouver le contrat de concession de la terre de l'île d'Orléans. Le 22 juin 1667, devant le notaire Paul Vachon, Mgr de Laval, seigneur de l'île d'Orléans , concéda à Mathurin Dubé une terre de trois arpents de front sur la moitié de la largeur de l'île, bornée au nord-est par celle de Pierre Michel Michaud (1637-1702) et au sud- ouest par celle de Jacques Jabon dit Laviolette.

Cette terre se situe du côté sud de l'île, dans les limites actuelles de la paroisse de Saint-Jean. De nos jours, se trouve sur cette terre, la maison de Jean-Baptiste Turcotte (1139 Avenue Royale, Saint-Jean Île d'Orléans) bâtie entre 1750 et 1800. Lorsque nous y sommes allée, en 1986, elle était habitée par un chaleureux grand-père, monsieur Jean-Baptiste Turcotte et son fils Séverin.

Vers 1667, la paroisse Saint-Jean n'était habitée que par quelques colons. Ce n'est qu'en 1683 que fut constitué la première église. Avant cette date les colons devaient donc se rendre à la paroisse Sainte-Famille pour les baptêmes, mariages et sépultures. C'est pour cette raison que le mariage de Mathurin et de Marie Campion y fut célébré, le 3 septembre 1670.

Famille de Jean Dubé et de Renée Suzanne mariés en 1630 à la Chapelle Thémer
1. Mathurin, fermier, n. 1631, marié à Marie Campion le 3-09-1670, Ste-Famille, Île d'Orléans, décédé à 64 ans.
2. Simon, laboureur, n. 1634, marié à Jacquette Bachoret en 1675, à la Chapelle-Thémer, décédé à 64 ans.
3. René, laboureur, n. 1642
4. Jean, laboureur, n. 1658, marié à Anne Oger en 1688, à Marsais, Ste-Radegonde, décédé à 50 ans.
5. Jacques, laboureur, n. 1659, décédé à 60 ans. Ils sont tous nés à La Chapelle-Thémer.
Ces renseignements proviennent de Marcel Dubé, descendant de Simon Dubé, vivant à Vendrennes, en Vendée.

Quand on visite l'église Sainte-Famille, on peut voir au sous-sol les fondations de la première petite chapelle qui fut érigée au début de la colonie.

Son mariage avec Marie Campion

C'est donc à Saint-Jean, Île d'Orléans, que Mathurin s'établit pour prendre épouse et fonder sa famille. Comme les jeunes filles à marier étaient rares à cette époque, le gouverneur avait dû fait appel à la mère-patrie afin de trouver des épouses pour les jeunes colons d'ici. C'est ainsi que la France envoya celles qu'on a appelées "les Filles du Roy".

C'est sur l'une d'elles que Mathurin porta son choix. Âgée de 16 ans, Marie Campion est la fille de Pierre Campion et de Marguerite Hénault. Selon le contrat de mariage (dont nous avons copie), passé le 24 août 1670 (greffe Becquet), elle est originaire de Rouen, en Normandie, plus précisément de la paroisse de Saint-Nicaise. Cette paroisse existe encore de nos jours.

Recensement de 1681

Onze ans après son mariage, Mathurin vit toujours à l'île d'Orléans. Voici ce que nous lisons dans le rapport des recenseurs de 1681 sur l'état de sa famille :

Mathurin, 50 ans
Marie Campion, son épouse, 27 ans
Mathurin, 10 ans
Madeleine, 8 ans
Louis, 6 ans
Pierre, 2 ans
Charles, 1 an (nous perdons sa trace par la suite; il serait donc décédé après le recensement).

Un autre enfant devait naître à l'île d'Orléans après le recensement; il s'agit de Laurent, baptisé le 20 avril 1683.

Au recensement de 1681, Mathurin exploite une terre de trois arpents et il garde une vache. Comme les besoins de la famille augmentent, Mathurin, qui a déjà joué le rôle de fermier, c'est-à-dire de gestionnaire à bail d'une ferme appartenant à quelqu'un d'autre, pense à s'établirGé dans un endroit convenable.

C'est ainsi que le 26 septembre 1686, devant le notaire Rageot, il signe un contrat à bail avec le seigneur François Ruette d'Auteuil (pièce 3145).

Grande-Anse

Mathurin déplace sa famille à Grande-Anse ou Sainte-Anne-de-la-Pocatière, à la limite de ce qui est aujourh'hui Rivière-Ouelle.

Selon le recensement de 1681 et les mémoires de Mgr de Laval de 1683, ce domaine de la seigneurie de LaCombe s'étend de la terre de Guillaume Lizot jusqu'à la seigneurie des Aulnaies, et n'est pas encore habité. Ce n'est que quelques années après son mariage avec la seigneuresse du lieu (Marie-Anne Juchereau) que Ruette d'Auteuil commence à faire défricher la terre à cet endroit et à établir sa ferme et le manoir.

Mathurin devient le premier fermier à bail du domaine de François Ruette d'Auteuil le 26 septembre 1686. Le contrat, auquel, auquel nous conservons sa graphie originale (gr. Rageot, pièce non 3145), se lit comme suit :

François Ruette d'Auteuil " reconnaissait avoir baillé pour 7 ans, finissant l'année 1694 à Mathurin Dubé habt. De l'Isle d'Orléans et Marie Campion, sa femme, le terre et manoir seigneurial de la seigneurie de la Pocatière et la Grande Anse aussy avec la maison, le fournil grange et etable qui sont dessus toutes lesd. terres tant labourables, prairies, et entel estat et quantité qulles peuvent estre au commencement dud. present bail, Lesquels joignant d'un costé (au nord-est) la terre et habitation de Guillaume Lizot, d'autre (au sud-est) à Monsieur de St-Denis (aux Aulnaies), d'un bout le fleuve, d'autre la fin et proffondeur de la terre, à la charge par led. preneur de prendre et cultiver et ensemencer lad . terre à toutes moitié de grains et semence et recolt, qu'ils prendront autant de vaches qu'ils pourront eslever jusqu'au nombre de 10, desquelles ils promettent de payer pour chacune d'ycelle le nombre de 16 livres de beurre salé, etc…etc…"

Il s'agit de la terre No. 30 du domaine seigneurial de 26x42 arpents. Lots cadastraux actuels 390 à 443.

À leur arrivée à la Grande-Anse (La Pocatière/Rivière-Ouelle), Mathurin Dubé et Marie Campion avaient quatre fils et une fille : Mathurin, Marie-Madeleine, Louis, Pierre et Laurent. Le 23 octobre 1691, Mathurin et Marie font baptiser Marie-Anne, née la veille, leur premier enfant à naître à La Pocatière ; malheureusement, elle décéda le 4 novembre, soit seulement onze jours après sa naissance. Leur dernier enfant, Jean-Bernard, né le 5 janvier 1694 paraît avoir subi le même sort.

Mathurin était donc le fermier du seigneur d'Auteuil lorsque Le Rouge arpenta la seigneurie en 1692. Dans son procès-verbal, il écrivait au sujet du domaine : " J'ai mesuré toutes les terres de lad. seigneurie tant celle du domaine que les habitations concédées et celles non concédées Scavoir : premierement le domaine qui commence a Une Borne que j'ay planté qui sépare la susd. seigneurie de celle de Mr. de St-Denis et depuis lad. Borne j'ay mesuré 14 arpents jusqu'à la rivière ou est basty le moulin et depuis lad. Riviere jusqua labitation de Guillaume Lissot il y a 9 arpens 9 perches et au bout diceux j'ay tiré une ligne du nord ouest au sudest jusqu'au costeau lad. ligne faisant separation du domaine de lad. seigneurie de Mr Dauteuille de l'habitation de Guillaume Lissot et sur lad. ligne j'ay planté deux bornes de pierre sous lesquelles est enterre des morceaux de briques."

L'exploit de la Rivière-0uelle

(tel que reconté par Léon Roy)

À l'automne 1690, la population de Québec et de la Nouvelle-France fut vivement alarmée en apprenant qu'une flotte de 34 vaisseaux, partie des ports de la Nouvelle- Angleterre, principalement de Boston, et commandée par l'amiral Wiliam Phipps, remontait le Saint-Laurent.

Avertis par les envoyés de Frontenac, les colons de la Rivière-0uelle se mettent sur la défensive. M. de la Bouteillerie étant alors à Québec, les habitants demandent à leur curé de vouloir bien les conduire lui-même à l'attaque. " Mes amis, leur dit en substance M. de Francheville, il faut à tout prix empêcher les Anglais de débarquer ici. Ils brûleront vos maisons, votre église, et vous serez probablement passés au fil de l'épée ou fait captifs. Defendons-nous vaillamment et nous aurons la victoire !"

Alors commencent les préparatifs de guerre. Les munitions, les armes consistant en " fusils à baguette", et en flèches sont passées en revue. Tous les hommes sont sur pied, faisant le guet.

Dès l'annonce de l'arrivée des ennemis, tous les colons se mettent en embuscade sur la lisière de la forêt, derrière les taillis et les crans du rivage. Bientôt la flotte vient jeter l'ancre en face de la Pointe. Plusieurs embarcations se détachent des navires et approchent ; la marée étant haute, les chaloupes peuvent atterrir jusqu'au bord de la falaise. Au commandement de débarquer, les soldants s'empressent d'obéir ; alors les soldats sur la grève, profitant de ce moment de confusion où les Anglais sautent à terre et reprennent leurs armes, attendent… Soudain le cri de " Feu !" rompt le silence dont la côte semble enveloppée. Au même instant, plusieurs détonations éclatèrent et une grêle de balles atteignent les soldats. Surpris d'une pareille attaque, ils regagnent leurs canots, laissant plusieurs de leurs blessés ou morts. Malgré les ordres contraire des officiers qui veulent les retenir, tous se rembarquent avec précipitation tandis que les Canadiens continuent de les viser du rivage. Cette attaque aussi inattendue que meurtrière n'était que le prélude de la réception qui attendait ces braves à Québec.

Cet incident a aussi été raconté par la Mère Juchereau de Saint-Ignace, dans l'Histoire de l'Hôtel-Dieu de Québec, page 321 : " M. de Francheville, y est-il dit, ayant dressé son embuscade dans l'endroit où les ennemis pouvaient faire leur débarquement, il attendit les chaloupes qui venaient bien remplies : dès que la première fut à la portée du mousquet, il fit faire une décharge qui tua tous les hommes dont elle était chargée, à la réserve de deux qui s'enfuirent vite ; les autres chaloupes ne jugèrent pas à propos de s'exposer au même danger… Ainsi ayant été malmenés dès la première fois, ce ne fut pas sans crainte qu'ils tentèrent plusieurs autres fois les moyens de descendre sur nos côtes, et de fut toujours sans succès…"

Aux braves colons de Rivière-Ouelle appartient donc l'honneur d'avoir repoussé le premier débarquement des Anglais en 1690. Longtemps, dans les familles, les souvenirs de cette escarmouche firent les frais de la conversation. Dans ce coin de pays, on s'attribuait un peu de la gloire immense qui rejaillissait sur toute la colonie. Les braves colons en venaient jusqu'à dire que leur curé, dont les allures martiales les avait enthousiasmés, aurait sûrement fait la même réponse que Frontenac avait faite à l'envoyé de M. Phipps. M. de Francheville, qui n'en croyait rien, tant son humilité était grande, revint à ses fonctions ecclésiastiques plus conformes à ses goûts et à son caractère sacerdotal. Quand cette aventure héroïque fut terminée, la population se remit aux nobles travaux de l'agriculture.

L'abbé Casgrain, dans son histoire de Une paroisse canadienne (Rivière-Ouelle) au XVIIe siècle, nous donne les noms des braves patriotes, qui se battirent sous le commandement de l'abbé Francheville. C'est dans ce texte que nous retrouvons le nom de Mathurin Dubé.

Mathurin et deux de ses fils parmi les francs-tireurs Le raid-surprise des miliciens anglais de l'amiral Phipps a été repoussé en 1690 par la plupart des habitants de Rivière-Ouelle et de la région en âge de porter les armes. L'abbé Henri Raymond Casgrain, dans son livre Une paroisse canadienne au XVIIe siècle, publie une liste des 39 francs-tireurs qui ont participé à l'escarmouche de Rivière-Ouelle. Mais le généalogiste et historien Paul-Henri Hudon, qui raconte en détail de fait d'armes dans le bulletin L'ANCÊTRE de la Société généalogique de Québec, a revisé cette liste et ajouté une dizaine de noms à ceux qui ont très probablement fait le coup de feu, dont ceux de Mathurin et Louis Dubé, respectivement âgés de 18 et 14 ans, qui se sont joints à leur père Mathurin. Il suppose aussi qu'une dizaine d'autres, parce que leur présence a été signalée dans la région à cette date, ont pu être de la partie. " Cette brève escarmouche, écrit en conclusion M. Hudon, fut immortalisée à Rivière- Ouelle par l'érection d'une plaque souvenir à la gloire des combattants. Inaugurée en 1946, sous l'initiative de l'abbé Armand Dubé (1906-1987), historien de Rivière-Ouelle, ce monument rappelle aux générations présentes l'acte de bravoure perpétré par les habitants sous la houlette d'un humble curé de campagne. Paul-Henri Hudon, Le jour où les Bostonnais attaquèrent Rivière-Ouelle, dans le bulletin L'ANCÊTRE , vol. 16, no. 10, juin 1990, Société de généalogie de Québec.

Décès de Mathurin

Après une vie très active et ayant terminé son contrat avec le seigneur Ruette d'Auteuil depuis un an, Mathurin Dubé s'éteignit à l'âge de 64 ans, le 28 décembre 1695. Il fut inhumé le 30 décembre suivant à Rivière-Ouelle (Berceau de Kamouraska).

La personnalité de Mathurin?

On aimerait tous connaître quel genre d'homme était Mathurin. Selon l'Astrologie et d'après son année de naissance, 1631, je me permettrais de décrire un peu la personnalité que devait avoir cet homme.

" C'était un homme généreux, vertueux, sincère et facilement compatissant, de manières timides et douces, qui se laissait submerger par ses émotions. Il manifestait beaucoup de créativité dans son travail; il était attiré par la nature, les enfants et les animaux. Sous des apparences timides, il avait une détermination intérieure qui le poussait à réagir fermement et avec passion lorsqu'il sentait une menace pour les siens et même pour son pays. Il était très prées de sa famille et la comblait de soins."

Hommage aux pionniers de Rivière-Ouelle

À l'occasion du tricentenaire de la paroisse en 1972, la municipalité de Rivière-Ouelle érigea une stèle pour rendre hommage à ceux qui ont construit la paroisse. Cette stèle se situe en face de l'église.

Si vous passez par Rivière-Ouelle, vous remarquerez sur la route 132, sise assez près du manoir Casgrain, " La croix des Dubé"; c'est une croix de chemin en fer forgé.

Selon des informations recueillies auprès de Monsieur Raymond Dubé, de Rivière-0uelle, cette croix fut érige pour remplacer la croix originale faite de bois. Elle fut érigée par Louis Dubé et son fils Albert en 1934 et bénite le 12 juin de la même année.

Il m'a fait plaisir de rendre hommage à notre valeureux ancêtre en vous racontant cette petite histoire d'après des textes recueillis au cours de plusieurs années de recherches.

Ces texte proviennent d'un numéro hors-série «Le Bé», Bulletin de l'Association des Dubé d'Amérique, sélections d'articles publié dans les 8 premiers numéros, Mai 1998.

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